lundi 1 avril 2013

Simplicité volontaire

Pour atteindre l'altitude des joies solides, certains disent qu'il suffit de se mettre tout nu avec d'autres gens pour faire coïncider ce qui peut l'être dans les limites des affirmations d'Euclide, ou de s'attabler devant un soufflé au homard gratiné avec un vin choisi par quelqu'un qui s'y connait. Mais cette apparence de simplicité ne doit pas masquer les préparatifs laborieux que ces occupations impliquent, ni leur financement important. C'est très compliqué, et de surcroît bien bourgeois (qui ne se souvient de DSK !), ce qui est vil.
Sachons-le : il existe un passe-temps beaucoup plus simple, apportant un bonheur de même diamètre et accessible par le biais d'un investissement tendant vers zéro. Le nombre de participant requis est de un, c'est-à-dire soi-même, et c'est bien pratique pour éviter les conversations illettrées et la confrontation d'agendas. En outre on peut choisir sa propre musique et donc éviter la techno (de bourgeois). En guise de cerise sur le gâteau, ce loisir ne requiert que passivité et patience immobile, c'est donc très peu fatiguant et aménage des plages horaires que l'on peut dédier à la lecture ou à la manifestation anti-capitalise; car oui, ce loisir a en outre l'avantage de ne pas requérir la présence de son protagoniste, ceci est exceptionnel. Et ce n'est pas tout : c'est aussi un loisir biodégradable, analogique, sanitaire, épanouissant et avantageux en nourriture.
De quoi s'agit-il donc ? Quel loisir peut regrouper tant de qualités quand tant d'autres, tel fumer ou regarder un très mauvais film (pléonasme accentué), se terminent par un sentiment coupable de nuisance auto-administrée ? Quel ? Le souricide : le meurtre prémédité de souris, le génocide de ces petites saloperies grouillantes, l'extermination méthodique de toute leur famille, voilà ce qui est bon pour toi et moi.
C'est effectivement plus simple à mettre en place qu'un soufflé au homard ou une partouze : il suffit de disposer des tapettes (à souris, pas à enculer) en plusieurs points du domicile. Tartine un peu de beurre d'arachides en guise d'appât, arme la tapette, c'est prêt. Tu peux vaquer. Cela t'aura pris une trentaine de secondes. Qui dit mieux ?
C'est également beaucoup moins cher : Loblaws vend le paquet de deux tapettes pour 74c, ce qui fait 37c (plus taxes d'égalité-solidarité) par souris. C'est moitié moins cher qu'un préservatif et onze fois moins cher que du beurre. Qui dit mieux ?
C'est biodégradable : il suffit de jeter les cadavres de souris à la poubelle. Les plus sophistiqués d'entre vous pourront les jeter (un par un) aux toilettes et faire caca par dessus. Même au S21 ils ne pouvaient pas faire ça ! Car un bourgeois, même démembré, c'est beaucoup trop gros pour une plomberie standard.
C'est totalement analogique : une tapette à souris, c'est du bois, de l'acier (et bizarrement, un peu de plastique dans les derniers modèles du Loblaws). L'inconvénient est que, à taille égale, l'on ne peut pas aller sur internet par le truchement de cet objet, c'est un petit peu embêtant. Mais qu'à cela ne tienne, ton téléphone n'est jamais bien loin, jeune bougre ! Cela dit, l'inventeur de la tapette mérite le prix Nobel d'Obama, sa création ultra simpliste n'a quasiment pas évolué depuis son invention, cela prouve qu'elle fut parfaite dès sa conception. Cet homme inconnu (contrairement à Steve Jobs) est de facto le modèle subliminal des gens admirables de notre civilisation. Ce monsieur synthétise l'idéal que chacun se devrait de poursuivre avec volupté volontaire : génie, humilité, simplicité, efficacité. La tapette est l'outil ontologique à vocation anti-évolutionniste, son inventeur est le Mozart-Laborit-Spinoza du souricide, que son âme belle et puissante baigne dans les océans de la reconnaissance universelle ! Amen à toi, Ô inventeur de la tapette à souris. L'autre jour, j'en ai croisé une dans l'escalier (une souris), j'ai essayé de lui marcher dessus pour l'écrabouiller. Il y a deux jours, j'en vois une sur mon bureau, je saisis le cutter pour la saigner. Échec dans les deux cas, naturellement - trop d'inertie et de lenteur molle dans ce corps de primate en slip. Alors amen à toi, Ô synthétiseur du génie humain, violeur de la vie des souris par procuration, et merci. Bien nentendu, cet ode au génie de la tapette à souris est écrite au masculin dans un soucis de simplicité grammaticale volontaire, même si c'est mal. N'empêche, l'inventeur de la tapette est un monsieur, j'en mets mes poils à couper, car une femme ne peut propager la mort, la femme enfante, elle donne la vie en riant, elle est la sève positive des forces de l'amour.
C'est sanitaire : la souris est un petit animal de merde, c'est-à-dire qu'elle contribue essentiellement à la vie de l'être humain en chiant un peu partout dans son domicile. Sur la cuisinière par exemple. J'ai même trouvé du caca de souris sur ma souris d'ordi. L'époque sombre où je vais trouver du caca de souris dans une pochette de disque approche. Ce sera la fin de l'univers de la paix et le passage à la guerre chimique et au poison. Finie la mort subite par éclatement cervical, place à l'agonie et aux contorsions. Tu dessécheras en couinant dans les interstices de la baraque où tu te réfugies telle une Ann Frank quadrupède, petite merde à poils. Tuer des souris est oeuvre sanitaire par élimination de leur invasion de caca. Impératifs de la désinfection de mort septique.
C'est avantageux en nourriture : les souris ne se risquent pas à notre promiscuité à nous autres, les électro-singes du savoir solidaire, par amour des sensations fortes ou de la conversation. Non, ces méprisables rongeurs boudent nos bibliothèques et nos skis nautiques pour se concentrer sur le garde-manger. Petites putes. Plus de souris meurent, moins mon manger diminue. C'est bien.
Le plus grandiose de cette liste les avantages du souricide reste tout de même le plaisir pur. La vraie joie et la plénitude sincère que l'on ressent lorsque l'on visite les emplacements de tapettes pour les découvrir garnies de petits cadavres disloqués ne se compare qu'avec peu d'autres choses, pas même le soufflé au homard. La matin en se levant, le soir en rentrant du travail, une tournée d'inspection des pièges avec à la clef un ou deux corps tordus : c'est Noêl. C'est comme recevoir le nouveau Gargoyle dans la boîte aux lettres, ou se faire double-sucer. Une souris morte. Une autre souris morte. La vie a un sens. Ces petits cacas poilus à queue filiforme, fracassés dans les tapettes, cela vaut toute une boîte de Bromazépam. C'est fantastique. Passer vingt-trois minutes à observer la chose, se demandant si elle est morte sur le coup ou si elle a lutté en couinant désespérément. Lorsque la nuque ou le crâne a été défoncé, on peut croire que la mort fut instantanée. C'est dommage, mais on ne peut pas tout avoir. Dans d'autre cas, c'est le dos qui est cassé en deux, ou le museau. Des traces de sang circulaires autour du piège témoignent que la petite pourriture a eu le temps de chercher une issue à son destin bien morose, mais la douleur et l'épuisement ont pris le dessus. On se risque même à imaginer que le parasite mort est père ou mère de famille et que son décès brutal signe l'arrêt du ravitaillement d'une portée complète d'ignobles petits souriceaux qui vont crever dans leur coin poussiéreux. Ils vont peut-être même se bouffer entre eux. C'est formidable.
Le plus beau est que Greenpeace et la SPA ne diront rien sur ce génocide à domicile trop peu télégénique. Aucune érection de pancartes en vue, paix dans l'éradication animale. J'envisage même de passer au piège à colle qui immobilise la souris sans la tuer. Cela me permettra de les embarquer vivantes dans un wagon à bestiau de train électrique Playmobil pour les déporter vers un camp de concentration d'intérieur que j'envisage de bâtir avec le fort Playmobil. Il y aurait une chambre à gaz conçu à partir d'un carton fermé dans lequel j'irais péter, et peut-être un petit four, ou alors un tonneau à acide comme dans Breaking Bad, soyons moderne dans le progrès. Confectionner des petits pyjamas rayés ?
C'est trop bon de s'en prendre à plus petit, plus faible et plus con que soi. Avec toute la noblesse de la justification morale de la santé, de la sécurité des objets et la défense de la propriété privée. Oui, oui, oui.









2 commentaires:

  1. Toutes mes félicitations ! Si vous voulez une façon plus personnelle de tuer des petits animaux doux, il y a la technique de la chaudière dans laquelle on dépose quelque nourriture à rongeur et de laquelle on laisse dépasser jusqu'à terre un morceau de tissu. Ainsi, la petite souris innocente sent la bonne bouffe, grimpe sur le chiffon, saute dans la chaudière et ne peut plus en resortir. La voilà maintenant prisonnière et à la merci de toutes vos idées d'expérimentations du petit Dr. Mengele qui sommeille en vous.

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    1. Quelle riche idée. On peut même rajouter un serpent dans la chaudière.
      D'autre part, j'envisage la guerre psychologiques : planter les têtes de souris mortes sur des cure-dents aux abords de la maison, comme dans les films avec des barbares barbus qui ne respectent pas la gentillesse.

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